Accueil > Actualités > Macron s’adresse aux armées.
Macron s’adresse aux armées.
En quelques mots, réaction à ce discours qu’il faut décrypter pour ce qu’il ne dit pas… et contre ce qu’il n’ose pas annoncer.
lundi 14 juillet 2025, par
Finalement, malgré une préparation médiatique très calculée, le discours d’Emmanuel Macron sur la défense et les armées, ce dimanche 13 juillet, n’a rien apporté de vraiment nouveau. Ce fut pourtant bien organisé. Avec en particulier une conférence de presse du Chef d’état-major des Armées (CEMA) le 11 juillet. L’intervention du Chef des Armées sur la menace, ou sur les menaces concernant la France, donna le ton de ce qui suivit avec ce discours du Président de la République à l’Hôtel de Brienne, puis le défilé du 14 juillet marqué par la volonté de montrer une armée prête au combat. Notons aussi l’entretien, le 8 juillet sur LCI, de Nicolas Lerner, Directeur général de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). Cet entretien sur un média grand public, depuis le siège même de la DGSE, visait manifestement à nourrir, à l’avance, la pertinence du discours d’Emmanuel Macron.
par Jacques FATH
source inJFI
Il fallait donc s’attendre (ce fut annoncé) à des informations, des décisions, des orientations de première importance… Il n’en fut rien. Rien sur la diplomatie, sur le règlement politique des conflits. Rien sur le rôle et l’importance des Nations Unies. Rien sur cette question essentielle : comment peut-on construire aujourd’hui de la sécurité en Europe et sur le plan international ? Pourtant, le raisonnement actuellement dominant est fondé sur la montée (réelle) de la conflictualité internationale, sur le nombre croissant de conflits et de guerres. On était en droit d’attendre quelque chose, des options, des idées sur le politique. Rien ne vint…
De la même manière, on aurait pu estimer nécessaire une approche sur les causes et les responsabilités, plus complexes et plus partagées qu’on ne le dit, dans le contexte préoccupant d’aujourd’hui. Toujours rien. Enfin, soulignons que l’absence de l’ONU dans les préoccupations présidentielles soulève un problème de fond : comment justifier cette absence marquante et problématique, alors que l’ordre international actuel, reste fondamentalement défini par la Charte des Nations Unies et par le droit international ? Faudrait-il s’accommoder des effondrements politiques et juridiques d’aujourd’hui pour être crédible ?
Comment parler sérieusement de la sécurité internationale sans référence à ces bases fondatrices des relations internationales ? Comment faire silence sur ce que la Charte définit depuis 1945 : l’exigence d’une sécurité collective dans l’esprit, les règles et les pratiques du multilatéralisme. Tout ceci est d’autant plus important que l’effondrement des principes et du droit international dans le contexte actuel est une problématique centrale, un enjeu qu’il faut traiter prioritairement. La France et les pays de l’Union européenne devraient donc assumer un engagement majeur pour remettre au centre des politiques conduites, cette exigence d’un ordre qui soit solidement normé et respecté.
Cet enjeu est mis en exergue par la réponse strictement militaire que le Président de la République a apporté, ce 13 juillet, à la décomposition de l’ordre international libéral installé en 1945. De ce point de vue, son discours ne fut pas à la hauteur du moment politique que nous traversons aujourd’hui.
Enfin, on peut aussi remarquer la faiblesse étrange du discours sur les contributions européennes possibles en matière de sécurité de défense et de financement. Rien, ici encore. Il ne fut pas question des 800 milliards d’euros censés pouvoir être engagés par l’UE pour financer le réarmement. Concernant la France, il faudra attendre le débat budgétaire général et les propositions du Premier ministre, même si l’objectif du doublement du budget défense est annoncé pour 2027, et non plus pour 2030. D’où le vide du discours présidentiel sur les coûts et surtout sur la façon de les assumer.
On peut d’ailleurs (il le faut) poser la question de la légitimité et de la pertinence de ce réarmement. Présenter la Russie comme LA menace essentielle dans le contexte actuel est une affirmation plus que discutable. Alors que l’armée de Vladimir Poutine n’est pas capable d’amener l’Ukraine à résipiscence, comment pourrait-elle représenter une menace « existentielle » pour la France et pour l’Europe ? Malgré une économie de guerre (au sens propre du terme), et, depuis le début des années 2000, des efforts réels pour reconstruire une force militaire majeure, la Russie vit un problème durable de puissance globale, qui s’est manifesté depuis le 24 février 2022. Certes, en Ukraine, les forces militaires russes avancent. Mais elles gagnent peu de terrain. Si bien que la guerre de Poutine risque de ressembler davantage à un enlisement qu’à une conquête véritable.
Alors, quelles sont les intentions, les motivations réelles du réarmement en France et en Europe ? Pour répondre à cela, il faut prendre du recul et replacer la question à son échelle pertinente : les rapports de forces mondiaux, les stratégies mises en œuvre dans les fractures et les contradictions majeures des relations internationales, les logiques de puissance, les affrontements pour la domination dans le processus d’une mutation de crise de l’ordre international.
Il est ainsi devenu indispensable de présenter la menace russe comme premier enjeu stratégique, qualifié « d’existentiel », afin de permettre aux États-Unis de concentrer leur approche politique, leur puissance et leurs forces sur l’Asie et sur la Chine… en laissant ainsi aux Européens le soin de contrer Moscou, au nom d’une autonomie stratégique hautement revendiquée, mais inscrite dans les faits (cela est officiellement exprimé) dans les convergences d’intérêts du monde occidental, et même dans l’Alliance Atlantique et son organisation militaire. Donald Trump a d’ailleurs clairement répété l’intérêt de Washington pour l’OTAN… qui assure un lien organique et stratégique de dépendance pour les Européens.
C’est dans ce cadre, qui mériterait de beaucoup plus amples explicitations, qu’il faut situer la politique de réarmement en France et en Europe. Il est tellement plus facile, n’est-ce pas, de nommer un ennemi, la Russie, que d’inscrire le choix de la course aux armements dans l’échiquier complexe et récusable des rapports de forces mondiaux et des contradictions de puissance. Emmanuel Macron, à sa façon, l’a assez clairement exprimé : « pour être libre, a-t-il dit, il faut être craint. Pour être craint, il faut être puissant ». Il souhaite manifestement que les citoyens français se réapproprient d’urgence le langage et les obligations de la puissance et de la force comme légitimation du réarmement et de la course aux armements.
Dans le discours du Président de la République, il y a d’ailleurs une volonté d’appuyer le choix politique français sur la liberté, sur le « salut de la patrie », sur la Nation… en espérant probablement que les bons vieux réflexes nationalistes et la désignation de l’ennemi puissent l’emporter, et masquer ainsi une vérité moins reluisante et beaucoup moins médiatique que ce patriotisme de façade, instrumentalisé à des fins géopolitiques et surtout de politique intérieure.
A mesure que les tensions internationales s’exacerbent dans une trajectoire de risques majeurs et de très grandes guerres possibles, le discours officiel français tend à s’affaiblir quant aux valeurs, quant à la pertinence stratégique nécessaire, et quant au sens politique. La vérité tend à perdre ce que gagne un récit d’abord idéologique. Il y a dans ce processus quelque chose d’un abaissement national et d’une distance grandissante avec ce que l’on appelle les valeurs républicaines. On a déjà connu ça dans notre histoire.
Et puis, contrairement à l’insistance présidentielle, ce n’est pas la Liberté (si importante soit-elle comme valeur fondamentale) qui est au centre des questions ainsi soulevées. D’autant que la liberté est ici utilisée, à l’évidence, comme paramètre non dit de confrontation avec la Russie et ses alliés… Ce qui est au centre des enjeux, et de ce débat en cours, c’est la sécurité. C’est LA question clé des relations internationales. La sécurité pour les peuples. C’est bien la nécessité de la sécurité collective et de ses conditions qu’il faut donc remettre au centre des efforts politiques afin de reconstruire un contexte, sinon un nouvel ordre, qui puisse contribuer à nous faire sortir de l’actuelle trajectoire périlleuse des relations internationales. JF 14 07 25
source inJFI
