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L’antiracisme, l’anticolonialisme ont d’autres combats à mener

samedi 7 octobre 2017, par Alain RUSCIO

à propos du débat :
Travail de mémoire et histoire. Faut-il débaptiser les lieux publics Colbert ?
paru dans L’Humanité le Mardi, 3 Octobre, 2017

L’esclavage et la colonisation sont à coup sûr deux moments parmi les plus sombres de notre histoire : cette constatation, qui n’est certes pas partagée par tous aujourd’hui encore, aurait paru totalement scandaleuse à nos aïeux. C’est pourquoi, fièrement, ils ont attribué par centaines des noms de rues, ils ont érigé par dizaines des statues à de faux héros, militaires sabreurs, politiciens colonialistes, idéologues racistes. Question préalable : si on accepte le principe de débaptiser, de déboulonner, de détruire tous les symboles de ce passé-là, par quoi, par qui, commencer ? Faut-il demander à la municipalité bien-pensante de Neuilly de se débarrasser de la statue équestre du duc d’Orléans, qui commanda une des expéditions meurtrières de la conquête de l’Algérie ? Ou à la Ville de Paris de mettre à bas celle de Francis Garnier, qui ouvrit les portes du Tonkin (nord du Vietnam) à l’armée française, prélude à un siècle de malheurs pour ce pays ? Faut-il lancer un commando contre la statue de Jules Ferry, certes père de l’école publique (François Hollande le rappela naguère), mais aussi le premier homme politique qui osa, du haut de la tribune de la Chambre, évoquer des « races inférieures » ? Faut-il dénoncer l’appellation « place du Maréchal-de-Lattre », ce militaire qui, le premier, ordonna l’usage du napalm au Vietnam ? Franchissons une étape : il serait bienséant de détruire toutes les fresques qui ornent la façade de l’ancien musée des Colonies, aujourd’hui de l’Immigration, car elles mêlent indistinctement « indigènes » et animaux sauvages, selon une association d’idées qui ne gênait pas grand monde en 1931. Il faudrait également, et d’urgence, débaptiser l’hôpital Broca, car ce sinistre « savant » des années 1850-1870 dépeça des corps, pesa des cerveaux… pour « prouver » que les Blancs étaient plus intelligents que tous les autres humains. Et pourquoi pas renommer le boulevard d’Indochine boulevard du Vietnam (avouons que ça aurait de la gueule), car l’Indochine fut une création coloniale…

Mais une question vient à l’esprit : qui en déciderait ? Des politiciens ? Hors de question. Des historiens ? Mais choisis par qui, selon quels critères ? Des comités mixtes regroupant les descendants des anciens maîtres et des anciens esclaves, des colonisateurs et des colonisés ? Aïe ! Un savant dosage entre ces trois catégories ? Inimaginable.

L’antiracisme, l’anticolonialisme ont, à mon avis, d’autres combats à mener. Un vrai effort pédagogique est sans aucun doute nécessaire autour des lieux, parmi bien d’autres, que nous venons de citer. Imaginons une éducation nationale qui inclurait dans ses pratiques des circuits au cours desquels les enseignants pourraient, sans agressivité, rappeler ce que firent ces statufiés ? Imaginons des maires consacrant dans les bulletins municipaux une rubrique de démystification des « héros » de la traite négrière ou des conquêtes coloniales.

Un effort est à faire dans une autre direction. Depuis quelques années, un rééquilibrage a été tenté (je parle pour Paris, l’exemple que je connais le mieux). La plaque du pont Saint-Michel à la mémoire des victimes algériennes du 17 octobre 1961, celle place de Charonne, l’inauguration de la place Maurice-Audin, de l’esplanade Pierre-Vidal-Naquet, furent des actes de simple justice historique. Pourquoi ne pas poursuivre dans cette voie ? L’auteur de ces lignes a rappelé récemment que des esprits libres avaient, dès les années 1930, proposé d’ériger une statue à l’émir Abdelkader ? Et si on reprenait cette idée, autrement plus chargée de symboles que toutes les destructions réclamées ?