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Pourquoi la responsabilité de l’État est-elle engagée par le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie ?

lundi 4 mars 2024, par Nils Andersson

L’Histoire de tous les États est faite de pages blanches et de pages noires. Il s’agit là d’une page noire, celle de la France. En complément de la demande citoyenne de reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie je publie ici un dossier « Sources de convictions » sur le rappel de faits et documents rendus publics dans le cours de la guerre d’Algérie.

http://appel.acca.1901.org/

source le blog de Nils Andersson

En complément de lademande citoyenne de reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie, je publie ici un dossier « Sources de convictions », basé sur le rappel de faits et documents rendus publics dans le cours de la guerre d’Algérie.

L’Histoire de tous les États est faite de pages blanches et de pages noires. Il s’agit là d’une page noire, celle de la France, recourant lors de la guerre d’Algérie, en application du concept de la « guerre contre-révolutionnaire », à la torture comme système.

À plusieurs reprises, la plus haute autorité de l‘État a reconnu que la torture avait été pratiquée « envers et contre toutes les valeurs de la République. » C’est là un acte fort. Mais la reconnaissance du fait n’explique pas comment, dix ans après la fin du régime nazi, dans un État de droit, signataire des Conventions internationales sur les droits de l’homme et des Conventions de Genève sur les droits de la guerre, le recours à la torture a pu être théorisé, enseigné, pratiqué et couvert, sous la responsabilité des gouvernements français successifs.

C’est la raison pour laquelle, démarche citoyenne, des associations des droits de l’homme, contre le racisme et anticolonialistes ont pris l’initiative de demander une reconnaissance de la responsabilité de l’État, responsabilité engagée par des décisions prises préconisant et justifiant l’usage de la torture lors de la guerre d’Algérie, décisions couvertes par les silences de ses institutions politiques, militaires, administratives et judiciaires. Un engrenage qui a gangrené la nation, traumatisé une génération qui avait vingt ans et jeté un discrédit sur la France dans le monde.

Dans toutes les guerres, comme lors de celle d’Algérie, sont commis par les États belligérants, mais aussi par les États non belligérants, des actes contraires au droit international et au droit de la guerre. Les événements actuels le démontrent. Pour mener un travail de connaissance et de compréhension de ces actes, chaque État est face à lui-même. Ainsi en Suisse, la Commission Bergier eut pour mission, dans les années 1990, de « faire la lumière » sur la politique et l’attitude de la Suisse vis-à-vis du régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale. Initiative très controversée, mais ces travaux furent source d’apaisement et son président déclara au terme de celle-ci que le pays a ainsi pu acquérir « une notion à la fois plus riche, plus complète de son histoire, et à travers cela, peut-être, éprouver une forme de libération. »

Notre demande d’une de reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie demande s’appuie sur un dossier « Sources de convictions » fondé sur les milliers de pages publiées dans la presse, des revues et de livres entre 1954 et 1962 témoignant et dénonçant, dans le cours même de la guerre, la torture. Ces milliers de pages qui ont révélé et prouvé l’ignominie, qui ont fait entendre le cri des suppliciés, page blanche dans la page noire, attestent de l’engagement de Français qui, malgré la censure et les saisies, les menaces et les pressions, les jugements et condamnations par des tribunaux civils et militaires, ont dénoncé le recours à la torture et ont concrètement été solidaires des victimes de la répression. Ils l’ont fait, en suivant leurs convictions morales, idéologiques, humanitaires. Ils l’ont fait contre la guerre faite au peuple algérien, ils l’ont fait contre le colonialisme, ils l’ont fait « pour la France. »

La reconnaissance de la torture ouvre le champ à la reconnaissance des dysfonctionnements de l’État. Démarche difficile, courageuse, qui ne juge ni ne condamne, mais demande à comprendre comment dans un moment de son Histoire « rien ne protège une nation contre elle-même, ni son passé, ni ses fidélités, ni ses propres lois. » [1]

[1] Jean=Paul Sartre, Une Victoire

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Pourquoi la responsabilité de l’État est-elle engagée par le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie ?

Cette responsabilité est engagée à cinq niveaux.

Premièrement, la doctrine de la guerre révolutionnaire, guerre psychologique se fondant sur le triptyque : « terroriser, retourner, pacifier », qui valide la torture, a été théorisée dans le cadre des écoles militaires par des officiers de retour d’Indochine, conceptualisant une doctrine « contre-révolutionnaire », se référant aux écrits sur la guerre de Sun Tzé, aux concepts « pour avoir le peuple de son côté » de Mao tsé-toung et aux théories fascistes du psychologue français Georges Sauge.

Les noms cités ci-dessous, plus qu’à titre personnel, le sont parce que leurs décisions, leurs actions ou leurs théories ont été prises, conduites ou conceptualisées dans le cadre de leurs fonctions, au sein d’instances politiques, militaires ou judiciaires de l’État.

Le principal théoricien de la doctrine de la guerre révolutionnaire fut le colonel Charles Lacheroy alors qu’il était directeur des études au sein du Centre d’études asiatiques et africaines (CEAA), devenu le Centre militaire d’information et de spécialisation pour l’outre-mer (CMISOM). Trois conférences du colonel Lacheroy : La campagne d’Indochine ou une leçon de guerre révolutionnaire, en 1954, Scénario type de guerre révolutionnaire en 1955 et en 1957, à la Sorbonne, Guerre révolutionnaire et arme psychologique, définissent, avec le label du ministère de la Défense, la doctrine française de la guerre révolutionnaire ou guerre psychologique Le colonel Jean Nemo, auditeur à l’Institut des hautes études de la Défense nationale et le capitaine Jacques Hoggard, qui enseigne au Centre d’études asiatiques et africaines, qui seront promus généraux, furent aussi des théoriciens de la « guerre révolutionnaire. ». Secondement, la théorie de la guerre révolutionnaire, dont la torture, comme l’a écrit Marie Monique Robin, est un pilier, a été enseignée dès 1955 à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, à l’Institut des hautes études de Défense nationale, à l’École d’état-major, à l’École supérieure de guerre sur décision du général Augustin Guillaume, Chef d’état-major des armées et lors de la guerre d’Algérie fut créé à Arzew, le Centre d’instruction à la pacification et à la contre-guérilla (CIPCG) par Charles Lacheroy et le général Salan, sur l’initiative de Jacques Chaban-Delmas, ministre de la Défense. Troisièmement, en application du Décret sur les « pouvoirs spéciaux » du gouvernement Guy Mollet, le 8 janvier 1957, Robert Lacoste, ministre résident, transfert les pouvoirs de police à l’armée qui en application de la doctrine de la guerre révolutionnaire, pratique la torture comme système en Algérie. Le Centre de coordination interarmées (CCI) crée sous le commandement du colonel Godard, les DOP (Dispositifs opérationnels de protection), qui sont des centres de tortures pour l’obtention de renseignements. Le général Massu, le général Aussaresses, le colonel Trinquier, le commandant Bigeard, le commandant Léger et d’autres officiers supérieurs ont ordonné ou pratiqué la torture, parmi les exécutants les plus notoires on peut citer les capitaines Faulques et Devis et les lieutenants Charbonnier, Erulin, Le Pen. C’est dans le cadre de l’armée, institution étatique, qu’ils ont commandé ou commis des actes de torture.

Quatrièmement, l’usage de la torture comme système fut couvert dans le cours de la guerre d’Algérie par les Gouvernements successifs. Alors que ceux qui pratiquaient la torture étaient promus et décorés ceux qui la dénonçaient. Le général de Bollardière, fut condamné à 60 jours de forteresse, Claude Bourdet et Patrick Barrat, journalistes, arrêtés, Henri Marrou, universitaire, perquisitionné. La liste est longue des journalistes, universitaires, éditeurs, appelés et rappelés qui ont été jugés et condamnés par des tribunaux civils ou militaires, comme est longue la liste des journaux, revues et livres saisis et celle des associations et organisations poursuivies pour avoir informé et alerté le pouvoir et l’opinion publique.

L’usage de la torture fut aussi couvert par la fin de non-recevoir opposée à ceux qui alertaient de l’intérieur des organismes du pouvoir le gouvernement : Paul Teitgen, qui démissionna de son poste de secrétaire général de la Préfecture d’Alger, Pierre Delavignette, gouverneur général de la France d’outre-mer et Maurice Garçon qui ont démissionné de la Commission de sauvegarde ou Daniel Mayer de son poste de député pour ne citer qu’eux.

Cinquièmement, la torture fut exportée, la doctrine française de la guerre contre-révolutionnaire a été enseignée par des officiers français (Aussaresses, Trinquier …) à l’école de guerre des Amériques à Panama et au Centre d’instruction dans la jungle de Manaus au Brésil qui formaient les officiers des armées d’Amérique du Sud et à Fort Bragg, les officiers états-uniens.

Le concept de « guerre psychologique » n’appartient pas au passé. Produit de « l’école française », le lieutenant-colonel David Galula est considéré aux États-Unis comme le « stratège du XXe siècle ». Après l’Algérie, David Galula, chercheur associé à Harvard, entre en contact avec Henry Kissinger et le général Westmoreland, commandant des opérations au Vietnam. Le livre de David Galula, Contre-insurrection : théorie et pratique, publié aux États-Unis en 2006, est le livre de référence du général David Petreaus, qui qualifie David Galula de « Clausewitz de la contre-insurrection » et a appliqué ses concepts en Irak et en Afghanistan.

La torture comme système de guerre a donc été théorisée, enseignée, pratiquée, couverte et exportée par les gouvernements français, ce qui engage pleinement la responsabilité de l’État signataire des Conventions de Genève. Répondre à cette responsabilité n’est pas un acte de repentance, mais une pédagogie citoyenne.

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Dossier pour la reconnaissance des responsabilités de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie

Le dossier « sources de convictions » recense des témoignages et documents dénonçant, publiquement ou au sein des instances de l’État, l’usage de la torture de 1954 à 1962.