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La laïcité, qui doit organiser la liberté, devient un prétexte pour l’intolérance

mercredi 1er mai 2024, par Acca

Un collectif de plus de 130 personnalités du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche apporte son soutien au sociologue Alain Policar, démis de ses fonctions par la ministre de l’éducation nationale à la suite de propos rapportés par RFI.

sources :
- lemonde.fr
- histoirecoloniale.net

La nomination d’Alain Policar, en avril 2023, au Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République (CSL), avait déjà été l’occasion d’une campagne de la mouvance nationale-républicaine afin d’inciter le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Pap Ndiaye, à renoncer à son projet. Mais, décidé à valoriser la pluralité des points de vue au sein de l’instance, le ministre n’avait pas renoncé à sa décision.

Un an plus tard, au prétexte d’un entretien donné à RFI, dans lequel était critiquée l’application de la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’École, la volonté de se débarrasser d’une voix dissidente retrouve un nouvel élan. Un ensemble d’initiatives, à l’évidence concertées, visant à obtenir son éviction, au prix d’une présentation fallacieuse de ses convictions, a convaincu la ministre de l’éducation nationale de mettre fin au mandat d’Alain Policar. Cet acte d’autorité interroge sur l’état des mœurs démocratiques.
Une campagne calomnieuse

Conduite par le réseau d’enseignants du secondaire Vigilance collèges lycées (collectif auquel appartiennent plusieurs membres du CSL), une campagne de calomnies a recueilli l’adhésion de Vigilance Université, de l’Observatoire des idéologies identitaires, du magazine Marianne, et, sur un mode mineur, de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Elle a conduit à la publication dans Le Point d’une pétition réclamant l’éviction d’Alain Policar du CSL.

Cette campagne a manié outrances et mensonges sans scrupule. Un des membres notoires de la liste Vigilance-Universités ose écrire : « Combien faudra-t-il d’enseignants ou d’élèves assassinés pour qu’une personne nommée par Pap Ndiaye soit écarté (sic) par le gouvernement du Premier ministre Attal ? ». Un autre, membre de l’Observatoire des idéologies identitaires (autrefois « du décolonialisme »), fait d’Alain Policar un zélateur du patriarcat islamiste. Bien qu’il s’agisse de calomnies, cela n’a pas empêché la présidente du CSL, Dominique Schnapper, d’écrire une lettre à la ministre dans laquelle elle estimait que les conditions du maintien d’Alain Policar au sein du CSL n’étaient désormais plus réunies. L’idée selon laquelle un membre de l’institution n’est pas autorisé à critiquer la loi a été validée par Madame Belloubet, laquelle a exigé la démission de notre collègue.

La seule question est, dès lors, la suivante : les membres du CSL, en exprimant leurs convictions, se mettent-ils en contradiction avec la fonction de ce Conseil ? Par ailleurs, émettre une appréciation critique sur la manière dont sont comptabilisées, par les services du ministère, les « atteintes à la laïcité », est-ce manquer au devoir de discrétion ?
Le refus du pluralisme

Nous répondons négativement à ces deux interrogations. Une position publique d’un membre du Conseil n’engage évidemment pas le Conseil tout entier du seul fait de la mention de son appartenance à ce Conseil. Si c’était le cas, on trouverait beaucoup à dire à propos de bien des engagements avérés de ses autres membres ou de sa présidente.

Doit-on rappeler que le Conseil des sages « exerce une mission de conseil, d’expertise et d’étude relative à la mise en œuvre du principe de laïcité et à la promotion des valeurs de la République » (arrêté du 19 février 2021), ce qui en appelle à une pluralité de points de vue permettant au ou à la ministre de pouvoir trancher ? Faut-il souligner qu’un expert n’est pas un fonctionnaire d’autorité et qu’il est, dès lors, supposé garder sa liberté de parole ? Rien, par conséquent, n’empêche un membre du Conseil d’avoir un avis réservé sur l’application de la loi de 2004 et de l’exprimer. On doit même considérer qu’il s’agit là d’un gage de pluralisme, de nature à renforcer la légitimité de l’institution.

En outre, s’il fallait admettre que le CSL dispose d’une doctrine à laquelle tous ses membres devraient adhérer, où serait-elle fixée, et par qui ? En l’occurrence, l’idée que le voile est toujours un signe de prosélytisme religieux, qui, aux yeux de certains de ses membres, constitue la doctrine officielle du Conseil, est une position démentie par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation.

Bien que nous souhaitions nous situer avant tout au niveau des principes, nous devons préciser qu’Alain Policar n’a, dans l’entretien donné à RFI, aucunement soutenu que le voile islamique était en soi un vecteur d’émancipation. Ce serait un postulat aussi absurde que la thèse inverse, selon laquelle il serait en tout temps et en tout lieu un instrument d’oppression. Notre collègue a simplement fait référence à des travaux sociologiques dans lesquels les jeunes filles voilées expliquaient leurs comportements, conformes aux prescriptions de leurs milieux, par la volonté d’échapper à la pression de ceux-ci, espérant ainsi gagner un espace de liberté. Il se situait donc exclusivement sur le terrain descriptif et non, comme semblent l’avoir cru certains lecteurs, normatif.

Aussi dénonçons-nous avec la plus grande fermeté l’exclusion de notre collègue et le tort fait à l’institution dont l’image sera considérablement écornée, tant l’éviction d’Alain Policar témoigne d’une volonté d’imposer une vision monolithique et dogmatique de la laïcité.

histoirecoloniale.net