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Pourquoi le Mouvement des non-alignés est-il de retour ?
mercredi 14 février 2024, par
Né voici soixante-trois ans, en pleine guerre froide et décolonisation, l’organisation internationale, dont le sommet se tient actuellement en Ouganda, retrouve une raison d’être avec la montée des désordres impérialistes. Les valeurs qui prévalaient lors de sa fondation n’ont toutefois jamais disparu.
par Benjamin König in l’Humanité du 18/01/2024
Kampala, dont le nom signifie la colline aux impalas, voit cette semaine défiler une faune toute particulière. Pas moins de 15 000 délégués, 28 chefs d’État, des dizaines de chefs de gouvernement et des centaines de diplomates se sont donné rendez-vous dans la capitale ougandaise pour un événement totalement passé sous silence dans les pays occidentaux : le 19e sommet du Mouvement des non-alignés (MNA).
Le dernier en date s’était tenu à Belgrade, en Serbie, en octobre 2021. Depuis sa création, également à Belgrade en 1961 (lire encadré), l’organisation, qui n’a pas de structure politique et rassemble aujourd’hui pas moins de 120 États, retrouve une raison d’être après des décennies d’état de mort cérébrale, notamment après la chute du mur et l’effondrement de l’URSS. La Palestine en est également membre, même si elle n’est pas constituée en tant qu’État : Riyad Mansour, son représentant auprès de l’ONU, a d’ailleurs pris la parole dès l’ouverture pour saluer le « soutien de notre mouvement ».
L’ambition d’être plus visible au sein des organisations internationales
Après l’ouverture du sommet, le 15 janvier, les chefs d’État sont attendus ce vendredi, pour les deux derniers jours. Le général Jeje Odongo, ministre des Affaires étrangères ougandais, a souligné « l’importance de collaborer pour faire face aux défis touchant les pays du Sud ». Le thème de ces rencontres est plus explicite : « Approfondir notre coopération pour un partage équitable des richesses dans le monde. »
Car, il ne faut pas omettre que le Mouvement des non-alignés a vu le jour pour des considérations économiques. « Le MNA est d’abord centré sur le développement intérieur des pays, sur leurs besoins », rappelle Michel Rogalski, chercheur au CNRS et à l’EHESS, et auteur d’un article sur le sujet dans la revue Recherches internationales, dont il est le directeur. Nombre de pays membres sont de ceux que l’on nommait alors le « tiers-monde », expression aujourd’hui totalement désuète tant ils se sont développés, au point pour certains de devenir de grandes puissances.
Dans son discours d’ouverture, Jeje Odongo a d’ailleurs mis l’accent sur les problèmes socio-économiques qui touchent ces économies qualifiées d’émergentes : « Une meilleure souveraineté alimentaire », « l’indépendance énergétique », et la question centrale – elle l’était déjà en 1961 – de « l’allègement de la dette ».
Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen (PCF) et spécialiste des relations internationales, voit dans ce sommet du MNA un événement « très important, même s’il n’a plus le même poids. L’ambition n’est pas de constituer une puissance alternative mais de constituer un ensemble plus visible et crédible au sein des institutions internationales ». Et de citer la Banque mondiale, le FMI et, bien entendu, l’ONU.
Un refus de l’ordre occidental
La question de la domination économique – et politique, par conséquent – occidentale a toujours été au cœur du MNA, mais à la chute de l’URSS, le modèle du capitalisme mondialisé à la sauce états-unienne et européenne a constitué le seul point d’accroche pour nombre de pays. Un peu plus de trente ans plus tard, l’ordre mondial a considérablement évolué. Et les pays du MNA l’ont bien compris.
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Mercredi, le ministre des Affaires étrangères algérien – dont le pays est un poids lourd du MNA –, Ahmed Attaf, estimait à la tribune du sommet : « Nous voulons que ce nouvel élan favorise l’avènement d’un ordre international équilibré et juste, qui garantisse la sécurité, la stabilité et la prospérité pour tous », en pointant notamment « notre engagement collectif à défendre les causes justes pour mettre fin à l’occupation, réaliser la décolonisation définitive et consacrer les droits des peuples opprimés ».
Une allusion à tous les territoires encore colonisés, à la Palestine, mais aussi au Sahara occidental. Allusion surtout au désordre mondial – de Gaza à l’Ukraine en passant par Taïwan –, provoqué par les conflits et les guerres impérialistes. Avec comme symbole l’abstention de nombreux pays du Sud global, notamment africains, sur la résolution onusienne condamnant l’invasion russe en Ukraine. « Ces abstentions témoignent d’un refus des ordres, même si personne ne soutient la guerre en Ukraine. Il signifie envers l’Occident : “Vous ne faites plus la loi dans le monde.” Le triomphe de l’Occident, c’est fini, donc il y a un regain d’intérêt à suivre et se montrer solidaires du MNA », analyse Francis Wurtz.
Les Non-Alignés en 5 dates
1955 : la Conférence historique de Bandung (Indonésie), si elle ne constitue pas directement l’origine du Mouvement des non-alignés (MNA), en jette les fondations. Elle réunissait 29 dirigeants de pays africains et asiatiques.
1961 : constitution officielle du MNA lors de la conférence de Belgrade, qui définit les trois leaders principaux : Nehru (Inde), Nasser (Égypte) et Tito (Yougoslavie). Les principes de la coexistence pacifique y sont définis. La Chine reste à l’écart en raison du conflit sino-indien.
1963-64 : fondation et constitution du G77, dont l’objectif vise à relayer l’influence du MNA au sein des Nations unies sur le plan diplomatique. Il compte aujourd’hui 134 États membres, qui font partie des pays du Sud global.
1973 : conférence d’Alger, lors de laquelle le MNA initie le « nouvel ordre économique mondial », adopté par l’ONU l’année suivante.
2009 : fondation des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), dont plusieurs pays membres sont issus du MNA, et qui partagent certains des objectifs économiques du mouvement. Depuis le 1er janvier 2024, les Brics comptent 5 membres de plus : l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes.
Une dimension tricontinentale
En somme, rien de bien nouveau depuis plus de soixante ans : les principes du MNA de « coexistence pacifique » hérités de la guerre froide semblent redevenir pertinents aux yeux d’un nombre croissant de pays du Sud : « Respect mutuel, non-agression, non-ingérence, égalité et bénéfice mutuels », avec une dimension tricontinentale (Asie, Afrique, Amérique du Sud) qui dès le début « irrite fortement l’Occident », analyse Michel Rogalski.
Avec une différence majeure, toutefois : si la Chine s’est longtemps tenue à l’écart du MNA, elle « joue aujourd’hui un rôle très important, y compris dans la structuration du Sud global », estime Francis Wurtz, qui appelle à ce que le MNA demeure un « mouvement pluriel ». Qui compte des pays aussi différents que l’Arabie saoudite, Cuba, la Bolivie, l’Inde, Fidji et même… l’Italie.
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