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“Si vous continuez à vendre des armes, vous cautionnez ce qu’ils sont en train de faire.”
mardi 20 février 2024, par
Alors que des frappes aériennes tuent déjà des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants dans la ville de Rafah, Israël menace de lancer une offensive terrestre au début du Ramadan. Les États-Unis ont aujourd’hui empêché une nouvelle fois le Conseil de sécurité de l’ONU d’exiger un cessez-le-feu "immédiat" à Gaza. Nous avons interrogé le député France Insoumise Sébastien Delogu qui faisait partie de la délégation d’élus français de gauche récemment en visite à la frontière égyptienne.
Robin Delobel
Comment ce voyage a été organisé et quel était son objectif ?
On attendait depuis un moment un accord avec de l’État égyptien, qui allait nous faire traverser sans le Sinaï, lieu très chargé au niveau sécuritaire. Le voyage a été refusé à plusieurs reprises puis finalement accepté du jour au lendemain. Avec la France Insoumise on a voulu un déplacement qui soit aussi ouvert aux autres partis politiques, notamment le parti communiste et EELV (Les Écologistes) dans le but d’être plus nombreux. Nous avons été accompagnés par l’ambassade de France en Égypte qui nous a donc mis à disposition des bus et traducteurs que nous avons payés de nos propres moyens.
On avait demandé à faire ce voyage un mois après les attaques du 7 octobre. Je précise attaques que nous avons toujours condamnés, en appelant à la libération des otages et des prisonniers palestiniens. Nous avions bien dit que c’était des attaques de terreur mais que l’on ne pouvait pas nommer le Hamas en tant que terroriste parce que sinon, au niveau du droit, il ne pouvait pas être mis en cause par la justice internationale. On se rangeait derrière le droit international pourtant ça nous a été reproché par toute une caste du monde politique qui cherche à nous faire passer pour des antisémites, ce que nous ne sommes pas.
Pour arriver jusqu’au Sinaï, ça a été des checkpoints sur checkpoints tous les trois quarts d’heure, il a fallu à peu près sept heures pour y arriver. On nous contrôle nos identités, on vérifie ce qu’on a dans nos valises, en est escortés par des militaires, par la police égyptienne, jusqu’à l’endroit qui est donc la frontière à Rafah.
Nous nous sommes arrêtés à la frontière dans un hôtel d’une ancienne station balnéaire maintenant désertique. Nous avons rencontré l’ONU, l’Unicef et l’Unrwa, qui travaillent donc sur le terrain, à la frontière avec Rafah côté Palestine. Ces personnes nous ont fait part de ce qu’il se passait là-bas de A à Z.
Elles nous ont expliqué les problématiques rencontrées sur le terrain, notamment les Palestiniens et Palestiniennes qui ne retrouvent plus leurs frères, leurs pères, leurs maris, leurs enfants, qui étaient emprisonnés sous les décombres. Ces organisations nous ont affirmé que le chiffre de vingt sept mille personnes serait en fait aux alentours de cinquante mille personnes mortes ! (ndlr : au 02 février date de la visite)
Quand nous avons continué notre petit parcours, arrivés précisément à la frontière à Rafah nous avons été marqués par l’image des milliers de kilomètres de camions d’aide humanitaire bloqués, qui ne pouvaient pas accéder à Rafah puisque le conditionnement de toutes les marchandises ne correspondait pas aux exigences de l’État israélien.
Ils ont donné des demandes bien spécifiques à l’UNWRA, au Croissant Rouge et à l’Unicef sur ce qu’ils avaient le droit de faire entrer ou non. Par exemple, l’aide humanitaire française qui a été déployée par l’État français n’a pas passé la frontière.
Comment est-ce justifié ?
Parce que c’était des grosses caisses et les caisses sont considérées comme des objets potentiels pour transporter des munitions ou des armes. Si ça passe la frontière, c’est bombardé par les drones israéliens immédiatement. Sur le chemin de Rafah côté gazaoui vous avez des camions encore en feu ou calcinés qui ont été donc bombardés par Israël.
Ensuite, vous avez énormément de caisses avec des jeux pour les enfants, avec des tableaux, des craies, etc. Mais cela ne passe pas non plus, puisque ça doit être considéré encore une fois par l’État israélien comme des caisses pouvant transporter des matières dangereuses comme des armes ou des munitions. Ensuite il y a la nourriture.
Il y en a partout, en tout cas dans beaucoup de camions. Mais elle a du mal à passer et quand elle passe elle va soit pourrir, soit être bombardée ou alors être reconditionnée comme l’a décidé l’État israélien.
Il y a également les fournitures médicales, les besoins des hôpitaux pour soutenir comme ils le peuvent une population qui a des problèmes vitaux. Des personnes qui ont besoin d’être anesthésiées, par exemples il faut des ustensiles stérilisés, de liquides pour endormir…
Ce matériel médical restait bloqué mais devait être conservé à moins quarante degrés dans des espèces de tentes de fortune qui sont à la frontière égyptienne. Autre problème, il y a eu un gros travail de préparation de l’accompagnement humanitaire sur le côté égyptien mais qui n’accède pas au côté palestinien. Tout simplement parce que, comme le corridor de Philadelphie est revendiqué par l’État israélien cela ne permet pas de faire le lien entre ces deux pays car je considère la Palestine comme un pays même si certains personnes le refusent. Quand ça rentre, des personnes de la communauté israélienne, sûrement des personnes radicalisées, s’opposent à ce que ces camions rentrent et les bloquent à la frontière entre le corridor de Philadelphie et Rafah.
Le témoignage très fort que vous avez fait après cette visite, est-ce que ça touche des gens du gouvernement, d’autres élus au parlement ?
En tout cas déjà pour finir sur les témoignages, je tiens à parler d’une femme qu’on a rencontré qui avait marché pendant trois jours à la suite de l’annonce du gouvernement israélien qui disait que tous les Gazaouis devaient se rendre vers le sud. C’est ce qu’elle a fait, elle s’est rendue vers le sud. C’est une femme enceinte de quatre mois, qui prend donc ses affaires, qui commence à marcher pendant trois jours pour rejoindre le sud. Le troisième jour elle arrive à Rafah s’évanouit, fait un arrêt cardiaque et met en péril sa santé et celle de son enfant. Cette personne-là nous explique comment elle souffre de voir la peur de perdre son mari, de son enfant qui est dans son ventre, peur de devoir perdre la vie avec tout ce stress, dans un monde où vous êtes entourés de bombardements.
Ensuite, on voit un autre enfant qui n’a plus de jambes, plus de bras, qui est allongé sur un brancard.
On rencontre les médecins qui nous expliquent qu’il n’y a plus aucune hygiène qui est respectée là-bas,plus aucune hiérarchie officielle, tout le monde survit dans une espèce de chaos permanent.
Il y a parmi es personnes rencontrées des médecins venus témoigner à l’assemblée nationale de ce qu’ils ont vu et vécu. Et ces témoignages, bien sûr ça a fait pleurer des députés présents. Mais il n’y a eu aucune réaction au point de vue gouvernemental, si ce n’est le fait qu’ils ont soi-disant fait un appel à un cessez-le-feu durable. Mais ça arrive au bout de trois mois de chaos et de bombardements intenses qui affichaient un manque de sérieux de la part de nos institutions.
Mais est-ce que ce cette demande de cessez-le-feu du gouvernement est crédible, sachant que le commerce des armes continue ?
Vous savez le conflit il va beaucoup plus loin que ce qu’on imagine. Moi qui suis actuellement commissaire aux affaires étrangères, j’ai une vision sur certains aspects moins connus du Moyen-Orient. L’Arménie est attaquée par l’Azerbaïdjan et a été par le passé martyrisée par la Turquie. Dans l’empire ottoman, la Palestine était colonisée par la Turquie. Et les plus gros donateurs humanitaires en Palestine sont les Turcs. Parallèlement, l’Azerbaïdjan martyrise l’Ukraine par le biais du Haut-Karabakh, où ils ont fait partir une tonne de personnes. Ceci se fait main dans la main avec la Turquie. Et à côté de tout cela, l’Azerbaïdjan vend son gaz et achète des armes à Israël. Ce qui n’arrange donc pas bien les Turcs.
Aujourd’hui, l’Union européenne ne peut pas, entre guillemets, trop condamner Israël parce qu’ils ont un accord gazier avec l’Azerbaïdjan extrêmement important pour faire passer le pétrole de l’Azerbaïdjan à l’Arménie qui passe ensuite par la Turquie, pour aller vers l’Europe, notamment l’Italie, le plus gros consommateur.
Ces différents aspects notamment économiques et énergétiques font superposer le conflit dans plusieurs sens. Ce n’est pas s’éloigner du sujet car en israël vous n’avez que le profit qui compte et même chose en Azerbaïdjan. Malheureusement avant octobre la Turquie était favorable à s’arranger avec l’Azerbaïdjan, pour pouvoir faire passer le gaz et récupérer son petit ticket au passage. Mais maintenant qu’ils sont en train de détruire l’ancienne colonie turque dont il émane toute l’aide humanitaire la plus importante en Palestine on rentre dans un conflit qui est en train de faire peser dans d’autres arrangements qui sont européens et qui sont très locaux au Proche-Orient.
Même l’Égypte est en train de négocier sa dette avec les États-Unis pour faire rentrer ou non des gazaouis sur son sol. On prend en compte tous ces éléments, sachant qu’on a eu en direct des témoignages de différentes personnes sur place, des camionneurs qui nous expliquent dans leur pays comment ils voient des choses, des ambassadeurs, des personnes d’autorité publique, cela nous amène à vraiment comprendre qu’Israël est de plus en plus isolé. Non seulement par rapport à l’opinion publique mais aussi par rapport à l’international et au Moyen-Orient et ce conflit là a ouvert d’autres conflits.
La seule chose qui, aujourd’hui, nous fait revenir sur nos positions, derrière le droit international et derrière la Cour Internationale de Justice, c’est ce que nous disions très tôt comme le dit l’ONU, une armée à tendance génocidaire qui est en train de faire un nettoyage ethnique qui se tourne vers un génocide.
Le fait de bombarder le sud après avoir demandé à toute une population de descendre au sud, c’est une preuve que la volonté du gouvernement et de l’armée israélienne est donc d’éradiquer complètement Gaza jusqu’à Rafah. C’est des visions d’horreur que nous avons de ce qu’il se passe là-bas. C’est des milliers de personnes et des millions de personnes qui sont dans une souffrance absolue, comme à l’est du Congo d’ailleurs, qui est en train de vivre aussi un génocide qui est catastrophique. En faisant cela Israël est en train de s’isoler encore plus sur l’opinion publique.
On a eu l’information d’attaques sur Rafah au moment de votre visite il y a deux semaines déjà. Mais la réaction internationale on ne la voit pas.
Il y en a qui font semblant. Le ministre des affaires étrangères a dit que c’était un scandale, qu’il ne fallait pas faire ça. Mais qu’est-ce qu’on peut comprendre si dans le même temps vous continuez à vendre des armes à une armée qui est en train de décimer tout un peuple ? Cela signifie que vous cautionnez ce qu’ils sont en train de faire. Si vous faites des hommages à des victimes, on peut l’entendre mais qu’ils fassent aussi des hommage à toutes les victimes du peuple gazaoui qui, aujourd’hui, sont complètement massacrées.
Est-ce que la majorité des personnes qui sont tuées, qui sont des femmes et des enfants, est-ce que, derrière chaque femme et chaque enfant, se cache un agent du Hamas ?
Moi, ce qui m’intéresse, c’est la population gazaouie, qui est en train de mourir, que ça soit avec du phosphore, mourir dans les hôpitaux parce qu’on ne peut pas les soigner, parce qu’elle n’a pas à manger, parce qu’elle n’a pas d’eau potable, pas d’électricité…
Source : investig’Action